jeudi 5 novembre 2009

Kenna, l'épure en noir et blanc

  Ratcliffe Power Station, Study 31 - Nottinghamshire, England, 1987

Michael Kenna, photographe anglais de la lignée d'un Eugène Atget ou d'un Bill Brandt, est l’auteur d’une œuvre vouée à l’épure en miniatures, d’images d’un univers sans visages, qu’il cultive avec constance et élégance, en noir et blanc, telle une offrande à l'éventuelle postérité de l'Homme.

Car son univers semble celui d’une terre désertée, comme abandonnée des hommes, comme s’il en était le tout dernier représentant, muni d’un engin photographique, en quête de témoignages de leur présence passée, figeant dans l’argentique leurs empreintes et vestiges, des plus prodigieux aux plus odieux. Du château de Versailles, en passant par les jardins de l’Ermitage, à Saint-Petersbourg, des montagnes chinoises du Huangshan aux métalliques usines nord-américaines.

C’est un regard profondément mélancolique, à géométrie variable, qu’il pose sur les rivages et paysages où le conduisent ses multiples voyages à travers la planète, en solitude.

Il rapporte des lumières torturées, captées dans le tourment d’orages, menaçant des plages du Japon, de Corée ou de Norvège. Il accuse d’inhumaines centrales électriques aux infâmes cheminées comme autant de cous de colosses décapités, crachant leurs fumées viciées au-dessus d’un champ de blé anglais. Les eaux des fleuves, des rivières, des mers et des lacs ne connaissent nul ressac, nul remous, pas même ne tremblent ou ne frissonnent, elles s’étendent tel le vif-argent du mercure sous des brumes stagnantes, entre rêve et épouvante.
Study 3 – Glastonbury, Somerset, England
Et sur ces rives esseulées, fantomatiques, silencieuses, contrastées, le dernier homme reste en retrait, respectueux, à contempler la paix d’une nature souveraine. Quand à l’abri de tout outrage, épanouie, maîtresse d’elle-même, elle s’offre en majesté dans le vol des oiseaux, une colline enneigée, l’ascension d’une lune, un arbre alangui, et puis, ce dernier homme poursuit son chemin, enveloppé de silence sur la route du monde, et découvre de nouvelles traces d’humanité, celles-là aux évocations sacrées, marquées par le meilleur des hommes : un temple shinto abritant la sérénité de bouddhas de marbre, les monumentales statues moaïs de l’île de Pâques, érigées peut-être dans le culte des ancêtres ou les imposantes pyramides de la nécropole de Gizeh, dressées dans le désert blanc.

Michael Kenna lit à merveille les lignes du destin de l’Homme, en saisit l’essentiel. La vie au-delà de lui. L'épure parfaite.