vendredi 8 octobre 2010

Aveillan, Poésie de lumière, éclat de mémoire

Le Talisman # 1 (2010) Bruno Aveillan

Toute atteinte du regard est inscription dans la mémoire, où les choses et les êtres, dans l’infinité de leurs facettes, noyées en paradoxes inextricables, n’en finissent plus d’apparaître et de disparaître, de s’imposer et de se dérober. Plus ou moins lointaines à notre escient, leurs empreintes marquent à la fois la survivance et l’effacement des signes, témoignent à chaque instant, chaque seconde, d’une réalité en fugue, de l’extrême profusion de son rêve.

L’œuvre photographique de Bruno Aveillan procède de la révélation de cette éternelle énigme, matière mouvante de l’absence en présence, charrie l’éclat de mémoire suprême et ténébreuse, à la faveur d’une constante poésie de lumière et d’un flirt harmonieux entre espérance et mélancolie.

Chacune de ses images est un voyage de l’oubli et du souvenir, un retour à la naissance de l’instant, un retrait dans l’étrangeté du lieu, une percée au fond de la matière. L’artiste ne saurait jamais voir que la seule apparence de la réalité, il approche ce qu’elle dissimule de significations et de beauté, visite sa nature variable, conte ses incidences. La réalité ne se livre que sous un voile éphémère qu’il prolonge volontiers de flous, savants, exigeants, parsemés d’indices. Sa quête s’étend au-delà des événements, du temps et de l’espace. C’est le point même de leur fusion qu’il aspire à franchir, et leur vérité abstraite qu’il parvient à saisir, comme personne avec tel raffinement.

L’acuité, la délicatesse et l’élégance du regard marquent la totalité de son œuvre. Elles se perçoivent dans la distance qu’il instaure avec l’objet de son attention jusqu’au désir peut-être de s’effacer lui-même afin d’accueillir pleinement la sincérité du mystère.

Il donne à voir l’aura resplendissante de la naissance ornant le fragile bouton de rose, fleur éphémère de l’enfance en éclosion qui, sur sa tige comme une paille, puise la sève de l’origine et déploie sa rayonnante espérance cerclée d’une ombre de temps imprévisible. 

L’unité fondamentale des éléments s’affirme sous son regard en mesure d’affranchir toutes les frontières et d’empiéter sur les territoires de l’abstraction. Il traverse tous les états de lumière, use de la puissance des rayons pour abolir les confins et fondre, dans l’éblouissement alchimique des ombres, la chair en air, l’air en matière, la matière en mer, la mer en ciel, le ciel en terre, la terre en chair.

Son art résonne à la fois d’une intime mélodie, familière et unique à chacun, et de la grande mémoire universelle qu’il honore. L’œil du photographe, pareil à un miroir sans tain, penché sur le destin, livre l’intuition d’une provenance, sous-tend le long pas futur. Au rayon clair irradiant le rideau, il fusionne l’enfant au flanc d’une jeune mère, dans l’air seulement troublé du vertige de la petite main tendue en pur ruissellement de bonheur. Dans le parfum des temps de voyage, autour d’une chambre d‘hôtel qui ne dit son nom, ni son lieu, ni son âge, la silhouette de l’entité humaine se fond dans la pénombre du lieu tout entier qui devient cette « zone de vivant, de convergence et de rayonnement » chère à Georges Didi-Huberman, et qui figure « le rattachement suprême aux grandes forces qui les créent, les empruntent, et les relient ».
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Zoé Balthus – Paris, août 2010

Extrait de la préface de Mnemo # Lux, Bruno Aveillan (Ed. Kerber)

Griffes  (2010)  Bruno Aveillan

Poetry of Light, Gleam of Memory

Every occurrence captured by our vision is inscribed in memory, where things and beings, with their infi nite facets, teeming with inextricable paradoxes, constantly rise up and wane, hold sway and slip away. More or less remote within our conscience, their imprints reveal both the survival and vanishing of signs and bear witness, every moment, every second, to an evasive reality and the extreme profusion of its reverie.

The photographic work of Bruno Aveillan proceeds from the revelation of this eternal enigma, the shifting matter of absence felt as presence. It bears the gleam of supreme, tenebrous memory through a perpetual poem of light and a harmonious flirt between hope and gloom.

Each of his images is a voyage into lapses and remembrance, a return to the birth of the moment, a withdrawal into the strangeness of the place, an inroad into the depths of matter. The artist never sees the straightforward forms of reality. He touches on the meanings and beauty it masks, explores its variable nature, and speaks of incidences. Reality only appears beneath an ephemeral veil which he readily extends with skilfully crafted blurs sprinkled with clues. His quest reaches beyond events, time and space.

It is that point where they merge that he seeks to cross into, their abstract truth he succeeds in grasping, with unparalleled refinement. His entire work is impregnated with the acuity, delicacy and elegance of his vision. They are perceptible in the distance he establishes with the object of his focus, and perhaps in his attempt to himself fade away, in order to better connect with the sincerity of the mystery.

He reveals the dazzling aura of birth adorning the fragile rosebud, the fleeting blossom of blooming childhood  which, on its strawlike stem, draws on the sap of origins and deploys its radiant hope, encircled by a shadow of unpredictable time.

His vision brings out the fundamental unity of the elements, breaks down all compartments and infringes on the realms of abstraction. He travels through every state of light, using the power of its rays to abolish borders and, in the magical dazzle of shadow, blend fl esh into air, air into matter, matter into sea, sea into sky, sky into earth, and earth into flesh.

His art resonates with both an intimate melody, familiar and unique to each, and the great universal memory to which it pays homage. Like a one-way mirror, the photographer’s eye peers into destiny, off ering the intuition of a beginning and a hint of the long, coming stride. He merges a bright ray emblazing a curtain with a child alongside a young mother and, the air faintly stirred by the giddiness of a small hand outstretched in a stream of pure joy. Shrouded in a fragrance of travel, around a nameless, placeless, ageless hotel room, the silhouette of a human entity blends into the half-light of the entire space which becomes that “zone of the existent, convergence and radiance” so dear to Georges Didi-Huberman, and which evokes “the supreme union with the great forces that create them, run through them and connect them.”
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Zoé Balthus - Paris, August 2010  - English translation by Joshua Karson
Excerpt from the foreword to Mnemo # Lux, Bruno Aveillan (Ed. Kerber)