samedi 21 janvier 2012

Pignol: dans la rondeur de l'origine

Lucrèce (Dessin à la sanguine - 2010)  Paul de Pignol – Coll. Zoé Balthus 
« Les images de la rondeur pleine nous aident à nous rassembler sur nous-mêmes, à nous donner à nous-mêmes une première constitution, à affirmer notre être intimement, par le dedans. Car vécu du dedans, sans extériorité, l’être ne saurait qu’être rond. » Gaston Bachelard, in La poétique de l’espace.

L’œuvre de Paul de Pignol s’inscrit définitivement dans la sphère que le philosophe saisit ici. C’est bien par la rondeur que, de sculpture en sculpture, de dessin en dessin, l’artiste exprime obstinément la prolifération infinie de l’être, le fourmillement cellulaire du monde. Son geste épouse toutes les courbes fécondes de cette intimité, en fait bruire les ondes instables, déploie ses masses circulaires, soudent ses noyaux de chair.

A la découverte de son travail, les mots de Vincent Van Gogh, écrits en 1888 dans une lettre à Emile Bernard et qui ont enrichi la pensée de Bachelard, reviennent en mémoire :
  « La vie est probablement ronde, et très supérieure en étendue et capacité à l'hémisphère qui nous est à présent connu. »
De fait, l’artiste fait naître des corps sous des formes rebelles, globuleuses, monstrueuses, d’où sourd le désir de mettre au jour le moindre atome de l’univers, chacune des gouttes d’un sang fluide, chaque cellule d’un grand tout. Davantage en quête métaphysique, voire mystique plutôt qu’esthétique, il fouille les sphères de matière, extrait les substances terreuses, révèle la densité des figures multipliée à l’infini. Ses gravitations de cire modèlent l’origine, en fixent les racines au-delà des territoires connus.

« Il s’agit d’extraire. Je libère l’informe de l’intérieur, et j’ajoute de la lumière, j’accentue la forme […] La touche de cire s’ajoute à une touche, et ainsi de suite… L’informe doit l’emporter sur les formes attendues », expliquait le sculpteur à Christian Noorbergen lors d’un entretien paru ce mois-ci dans le magazine Artension.

Le plasticien exhibe des traversées d’entrailles, des oscillations meurtrières, des vibrations sanguinaires sous la lame d’un poignard invisible à l’heure du drame mythique. Il ouvre des passages au milieu des poitrines, d’où jaillit le cœur gros de la cruauté des hommes. Il éventre, il entaille. « Il y a quelque chose de sacré là-dedans », dit-il.
Figure (2011) Paul de Pignol
Mais Paul de Pignol sait également puiser dans la rondeur une éblouissante douceur d’ange qui s’épanouit dans le dessin de corps étranges que l’on dirait conçus par les nuages et les étoiles, « suivant les règles de la poésie cosmique », dirait encore Bachelard. L’artiste admet y voir parfois des constellations.

Exposition Les îles du corps et de l'espace... Sculptures et dessins de Paul de Pignol du 21 janvier au 25 février  2012 Galerie Tadeusz Koralewski - 92 rue Quincampoix, 75003 Paris


Un entretien entre Paul de Pignol et Zoé Balthus, à l'occasion d'une exposition dans la galerie de Tadeusz Koralewski – Un film court réalisé et monté par Anne-sophie Jessel